"Marcel Moreau est décédé ce 04 avril 2020, à l’âge de 86 ans. Un immense écrivain s’en est allé, il nous reste ses mots. Il nous reste son écriture, personnage intense et central de son œuvre gigantesque, composée de plus de soixante livres. Transféré à l’hôpital en septembre 2018, puis placé dans un Ehpad parisien, il y a attrapé le Covid-19 à quelques jours de son anniversaire. Il aura fallu un terrible virus pour venir à bout de ce colosse.
L’écrivain Marcel Moreau est né à Boussu en 1933. C’est de son Borinage natal qu’il tire son envie d’écrire, sa rage d’écrire. Car le vide culturel de sa région l’a toujours révolté. Cet écrivain à la colère saine ne se sera servi que de ses mots pour s’arracher à son milieu. Il a souvent répété que le mineur battant le charbon était pour lui une parfaite allégorie de l’écrivain au travail.
Il quitte l’école à 15 ans et devient correcteur au journal Le Soir en 1955. Il commence alors l’écriture de son premier roman, Quintes, qui paraîtra en 1963. D’emblée salué par Jean Paulhan, Simone de Beauvoir et Alain Jouffroy, il sera même en lice pour le Goncourt et le Renaudot. En 1968, Marcel Moreau s’installe à Paris, où il restera toute sa vie, écrivant chaque matin aux aurores. "Ce sont les mots qui me réveillent", dit-il.
Lire un livre de Marcel Moreau, c’est vivre en soi des aventures innommables. C’est se lever de sa chaise en hurlant des cris de joie, de révolte, des "eurêka", c’est éprouver au plus profond de son être cette gratitude, d’avoir compris, d’être compris. S’il y a trop peu d’articles à son sujet, s’il est resté beaucoup trop méconnu dans sa Belgique natale, peut-être est-ce parce qu’il n’y a pas de mots existants pour retranscrire ce qui sourdre de son œuvre.
En observant ce petit homme sombre, qu’il n’a bien sûr pas toujours été, on ne peut s’empêcher d’imaginer les mots qui tournoient en lui, si puissants qu’ils l’entourent presque physiquement. Un jour que je lui rendais visite à son Ehpad pour l’emmener manger un bon steak saignant, il m’a dit : "J’ai encore perdu des mots dans cette histoire…".
Et son quotidien semblait voué à chercher les mots disparus. Je crois que les mots le maintenaient littéralement en vie. Et si Marcel nous a quittés parce que les mots sont partis, il nous reste ceux qu’il a laissés pour nous. Plus que jamais en ces temps étranges et difficiles, lisons Marcel Moreau" (Morgane Vanschepdael, 4 avril 2020)
Stefan Thibeau et Morgane Vanschepdael lui ont récemment dédié un film visible en ligne. Le travail le plus récent à propos de Marcel Moreau est un documentaire réalisé par Stefan Thibeau en 2018 : "Marcel Moreau : se dépasser pour s’atteindre".
Ce que Laurence Vielle nous dit de Marcel Moreau :
C’est Vincent Tholomé qui m’a fait connaître "La pensée mongole" et je l’en remercie. Marcel Moreau… Il est parti ce mois d’avril 2020. J’ai eu l’immense chance de le rencontrer vers 30 ans, grâce à une amie poétesse, Gwenaëlle Stubbe. Il a préfacé mon recueil "l’imparfait" par un texte somptueux ; je n’oublierai jamais son regard, sa présence, sa voix. La première fois que je l’ai croisé, c’était au théâtre Poème à Bruxelles, la seconde à Paris, son appartement, un dédale, de l’obscurité, des livres, de la fumée, de l’écriture. Marcel Moreau. Chaleureux, accueillant, impressionnant. Tatoué sur mon cœur.
La poésie est la guillotine des idées reçues.
Lawrence Ferlinghetti, "Poésie, art de l’insurrection", Éditions Maelström, 2012
