C’est par la bouche que nous buvons.
C’est par la bouche que nous mangeons.
C’est par la bouche que nous baisons
La bouche de celle que nous aimons.
C’est par la bouche que nous parlons.
C’est par la bouche que nous chantons.
C’est par la bouche que nous rotons.
C’est par la bouche que nous crions.
Nous vomissons nous éructons.
C’est la bouche qui mieux que les yeux
Reçoit le monde et qui le rend
Qui le recrache en l’avalant.
C’est par la bouche que je crierai
À l’heure du Jugement Dernier.
C’est par la bouche que vient la mort,
C’est par la bouche qu’elle me mord.
C’est par la bouche que je veux boire.
C’est par la bouche que je veux croire.
(…)C’est par sa bouche que j’ai baisée
Que je veux mourir apaisé.
C’est par son ultime baiser
Que je veux clore mon histoire. (…)
Quand je vous parle c’est comme de boire
Quand je vous parle c’est comme de croire
Que c’est aux mots que nous buvons.
Que c’est au cœur que nous devons
Rendre le souffle qu’il nous prêta
Dont nous usâmes sans bien savoir
Si nous ne le gaspillâmes pas. (…)
Aussi longtemps que j’aurai vie
Qu’en moi j’aurai puissance de cri
Je n’écrirai que pour crier
À mots trempés dans l’encrier
Des sons qui résonnent dans le noir.
Car nous vivons tous dans de l’encre
Dont nous ne savons pas pourquoi
Elle est si noire autour de soi.
Les flots de sang qui dans nos corps
Nous baignent comme une plage, dehors
Quand ils s’épandent et se répandent
Nous privent de vie à l’intérieur.
Entre la nuit et le sang rouge
Ce n’est que nuance de couleur.
Ce n’est que nuance de douleur.
Ne sommes-nous nés que pour crier ?
Ne sommes-nous nés que pour saigner ?
Je ne sais pas mais je veux boire
Comme si buvant des mots qui sont
Des mots qui sonnent pour la mémoire
C’était du sang que je buvais
Comme si ce sang avait du sens,
Qu’il circulât pour nous guider.
Nous avançons tous dans la nuit.
Qui est devant, qui nous précède
Qui précéda les précédents
Nos antérieurs nos pères d’avant.
(…) Quelle couleur a la mort, qui sait ?
Transformation c’est le mot clé,
La clé qui ouvre est dans nos bouches
La clé qui ouvre est dans nos mots.
(..) Donc, levons le verre
Levons le levier de nos vers
Nos vers de chair jusqu’à la fine
Frontière entre le monde et nous !
La bouche est bouche d’une rivière
Que nous formons dans l’Univers
Avec le courant de nos mots.
Avec le courant de nos souffles.
Avec le courant de nos sangs.
Et le courant de la lumière.
Buvons buvons et confluons
Nous accordant et musiquant
La bouche ouverte la bouche fermée
En une sempiternelle prière !
Boire et manger – Jacques Darras

